top of page

l'express

Le 25 Novembre 2013

 

 

Dix mois d'enquête et d'angoisse avant que le corps de Catherine Andriot ne réapparaisse
 

Cyril Andriot, un agriculteur de 39 ans, était sans nouvelles de sa femme depuis plus de dix mois. Le corps de celle-ci a été retrouvé la semaine dernière dans la Seine. Ce cas reflète les difficultés rencontrées par les enquêteurs dans les affaires de disparition. 
 

 

 

 

 

 

Dès que les gendarmes lui ont montré les premières photos, Cyril Andriot a compris. Il y a d'abord eu les bottes noires. Puis les sous-vêtements. Et, enfin, le gilet brunâtre, qui, un jour, fut orange. Seules manquaient l'écharpe et la jupe en jean, mais il n'y avait aucun doute : il s'agissait bien des affaires que portait Catherine, sa femme, ce soir de janvier où elle n'est pas rentrée dans leur maison d'Anglure, paisible village de la Marne. Ces vêtements ont été retrouvés dix mois plus tard, le 18 novembre, sur un cadavre repêché dans l'écluse de Bernières, près de Nogent-sur-Seine(Aube). 


 

Selon le procureur de Châlons-en-Champagne, Christian de Rocquigny, le rapport d'autopsie indique que la mort de cette femme âgée de 36 ans "résulte d'une noyade sans trace de violence". Un suicide, probablement.

 

L'Aube, la rivière qui traverse Anglure, a connu une crue importante au début du mois, et les mouvements d'eau ont sans doute déplacé le corps, jusqu'ici bloqué dans les profondeurs.

 

"Ce n'est pas la première fois qu'on repêche un cadavre après une crue", confirme Didier Berger, le commandant de la section de recherches (SR) de Reims. Drôle de fin pour une affaire de disparition qui a conduit les gendarmes d'Anglure à suivre toutes sortes de pistes, certaines conduisant même en Malaisie et au Moyen-Orient. Jusqu'au jour où la nature a décidé de s'en mêler. 

 

 

"Si carrée et ordonnée"

 

Tout commence le 14 janvier, à 18h44. Cyril Andriot, un agriculteur sans histoires de 39 ans, arrête sa Renault Kangoo devant son garage.

 

Il appuie sur le bouton de la télécommande qui active l'ouverture à distance. Aucune réaction. Il descend de sa voiture et ouvre la porte avec sa clef.

 

En regardant le disjoncteur, il comprend que le courant a été coupé. Il le rétablit, puis sort les poubelles.

 

De retour dans le garage, il s'inquiète : l'électricité coupée, le silence, tout cela n'est pas normal. Alors il pénètre chez lui, appelle son épouse.

 

"Catherine?" Pas de réponse. Il fait le tour des pièces. La salle de bain est éclairée. Sur le sol, de l'eau. Et plus loin, le sèche-cheveux. Aucune trace de la jeune femme. 

A l'arrivée des gendarmes, après 20h, Cyril a déjà fait le tour de la maison et du quartier. Plusieurs choses ne collent pas.

 

Il y a d'abord les sacs de courses, laissés dans le couloir. "Catherine était si carrée et ordonnée d'habitude", se souvient Emilie, son amie d'enfance. Sur la commode, près de l'entrée, le téléphone portable de la disparue.

 

Sur un fauteuil, son manteau. Enfin, elle n'a pas pris sa voiture. Un témoin l'a vue non loin de là, en face du collège du village, vers 18h05. Catherine a détourné le regard en le croisant.  

 

 

Les gendarmes d'Anglure, qui connaissent bien les Andriot, prennent la disparition au sérieux. Ils savent que les premières heures sont déterminantes pour leur enquête.

 

D'importants moyens sont mobilisés: des dizaines hommes, des chiens, un hélicoptère. Manque de chance, il commence à neiger. "A ce moment, on se dit qu'elle a fait une chute, c'est l'hiver, le sol est glissant, et qu'on va la retrouver dans la nuit", se rappelle Emilie, l'amie d'enfance. Quatre plongeurs draguent la rivière, sans succès.  

 

 

"Le problème des enfants"

 

Les jours passent, les questions se multiplient. Un suicide? Il y a bien ce que Cyril lui-même appelle "le problème des enfants".

 

Catherine voudrait en avoir, mais le couple n'y parvient pas. La jeune femme reste sur trois fausses couches, la dernière, en novembre, deux mois avant sa disparition.

 

"A chaque fois, il y avait un moment d'abattement, puis elle rebondissait", assure Emilie. "A 36 ans, c'était encore possible", ajoute Cyril.  

 

 

Le matin de sa disparition, Catherine a appelé une plateforme de voyance, confiant ses inquiétudes liées à son travail de secrétaire dans un cabinet notarial. Rien de bien méchant.

 

Il y a aussi cette phrase que Catherine a lâchée, alors qu'ils déjeunaient ensemble pour la dernière fois ("un boeuf bourguignon", se souvient Cyril) : "J'ai de la chance d'avoir un mari formidable." Mais n'a-t-on pas tendance à chercher des signes après coup? 

 

 

Bien sûr, les enquêteurs s'intéressent au mari. La vie intime du couple est "compliquée", selon une source proche du dossier, et un crime passionnel n'est pas exclu. La même source évoque à ce sujet une "piste" au Moyen-Orient, sans développer. La maison est passée au peigne fin, mais aucune trace de sang n'est relevée.

 

Dans un tiroir, on trouve un étrange numéro de téléphone en Malaisie, qui ne donne rien. Le printemps est là, et il n'y a toujours aucun indice de vie, ou de mort, de Catherine Andriot.  

 

 

"Je veux des preuves"

 

Cyril en est très affecté. "Après le 14 janvier, j'ai pris l'habitude de vivre au jour le jour, confie-t-il. On ne peut plus voir le futur. On croit que c'est possible, mais on rechute facilement.

 

" Il crée un site, pour encourager les signalements, et colle des affiches, se renseigne sur ce phénomène, peu connu, des disparitions. "Chaque année, 10 000 personnes disparaissent, vous vous rendez compte?" Sollicitée par L'Express, la police avance pour sa part un total de 4000.

 

Les proches de Cyril s'inquiètent. "Il ne dormait pas plus de quatre heures par nuit, selon sa soeur, Séverine. Il a perdu 10 kg".  

 

Les enquêteurs, eux, pataugent. "Le pire, dans les dossiers de disparition, c'est le moment où l'on ne sait plus quoi faire", nous confiait le procureur de Châlons, Christian de Rocquigny, quelques heures avant la découverte du corps.

 

Cyril, lui, a l'impression qu'on le laisse tomber. Les gendarmes insinuent que Catherine s'est suicidée. "D'accord, leur répond-t-il, mais je veux des preuves".  

 

Se battre pour savoir

 

Il sollicite alors Me Corinne Herrmann, une avocate spécialiste de ce type d'affaires. "Les disparitions de femmes âgées de plus de 30 ans sont les plus difficiles à traiter, explique-t-elle.

 

Quand l'une d'elles se volatilise, beaucoup d'énergie est déployée au début. Puis il y a un désintéressement des enquêteurs assez rapide, car ils pensent qu'elle a sûrement refait sa vie ailleurs.

 

" Du côté des gendarmes, on argue que "nous sommes dans la phase de l'enquête judiciaire, qui est moins visible car moins médiatique." 

 

En été, l'avocate commence donc à travailler sur l'affaire. Très vite, elle s'étonne: les enquêteurs n'ont pas fait de rapprochement avec des cas de disparition soudaine et inexpliquée, comme celle de Catherine Andriot, signalés dans la région.

 

"Il n'y a rien de commun entre ces disparitions, rétorque Didier Berger, commandant de la SR de Reims. Sinon, le parquet aurait fait le lien." Pas sûr, selon Me Didier Seban, un autre avocat, qui travaille souvent en tandem avec Me Corinne Herrmann.

 

"Il y a un problème administratif, en France, relève-t-il. Des affaires similaires se produisant dans un même secteur géographique sont parfois confiées à des juges d'instruction différents. Bien souvent, nous faisons nous-mêmes le rapprochement pour le signaler aux enquêteurs..."  

 

 

Un autre problème du système français, selon Me Seban, est l'éloignement des investigateurs. "Parfois, ils ne préviennent même pas les proches qu'ils ont arrêté les recherches, affirme-t-il. En Grande-Bretagne, un officier est délégué au suivi de la famille, du début à la fin de l'enquête.

 

" Cyril Andriot n'avait pas eu de contact avec les enquêteurs depuis des mois lorsqu'un gendarme l'a appelé, le 19 novembre au soir, pour lui annoncer la découverte du corps.  

Un fichier pour l'ADN des disparus

 

Plusieurs affaires récentes de disparition ont jeté une lumière crue sur les limites des moyens d'enquête, en France, dans ce type de dossiers.

 

Le 19 mars 2012, Martine Ursprung, une habitante d'Epernay, une commune proche d'Anglure, retrouve son mari après trois mois de recherches.

 

Son corps avait été repêché dans la Marne, à 100 km en aval. Faute d'avoir pu l'identifier, on l'avait enterré sous X.

 

"J'ai travaillé sur plusieurs cas comme celui-ci, affirme Me Herrmann. Il faudrait créer un fichier à l'échelle nationale pour référencer l'ADN des personnes disparues.

 

Cela permettrait d'identifier de nombreux corps, en effectuant des croisements, et ainsi de résoudre plus d'affaires.

 

" Une source au sein de la police indique qu'une "réflexion" sur le sujet est en cours. 

Cyril passe tous les jours devant le collège du Mazelot pour aller travailler, dans la rue où Catherine a été aperçue vivante pour la dernière fois.

 

"J'y repense tout le temps, dit-il. Ca m'a marqué à vie." Après avoir vu les photos des vêtements de sa femme, il est retourné travailler. La vague de froid qui parcourt l'est de la France menace les betteraves.

 

"Je suis très triste. Mais par rapport aux proches de disparus qui sont dans l'attente, j'ai au moins la chance de savoir, confie-t-il, au téléphone. J'ai fait ce que j'ai pu pour retrouver Catherine.

 

Je respecte son geste. Mais il y avait encore de belles choses à vivre. "  


 

bottom of page